En mars dernier, Philaposte a eu la bonne idée de célébrer le centenaire du bloc-feuillet au type Sage de l’exposition internationale de Paris qui se tint avec succès au pavillon de Marsan du 2 au 12 mai 1925. Une occasion de revenir sur ce bloc et cette exposition ainsi que sur tous leurs à-cotés.
Le lancement de l’exposition En 1900, les dirigeants de l’exposition philatélique internationale organisée par la Société Française de Timbrologie avaient enregistré avec satisfaction la présence de Léon Mougeot, sous-secrétaire d’État au Commerce, à l’Industrie et aux Postes et Télégraphes qui donnait une légitimité à la philatélie aux yeux de l’Administration.
En 1925 beaucoup de chemin a été parcouru et la philatélie est reconnue jusqu’au sommet de l’État et le portrait du Président de la République Gaston Doumergue figure dans le catalogue de l’exposition du Pavillon de Marsan. L’Écho de la Timbrologie note : « Voici une nouvelle qui réjouira tous les philatélistes français : le Président de la République a accepté que l’Exposition de Paris fût placée sous son patronage.
C’est une considération officielle qui aura certainement les plus heureux résultats ».
La revue y voit un « désir de témoigner tout l’intérêt qu’il porte à cette belle manifestation ». Une vignette-réclame verticale avec un dessin d’Edmond Becker, qui avait dessiné la série des Jeux Olympiques de 1924 ainsi que les 25c et 75c « le Potier » de l’exposition internationale des Arts décoratifs modernes, est imprimée par Hélio-Vaugirard en brun, violet, bleu et rouge. Représentant Atlas soutenant le monde, elle est appréciée par L’Écho de la Timbrologie qui écrit :
« La composition en est des plus heureuses ; elle fait honneur à l’art français et l’admirable interprétation de l’imprimerie de Vaugirard fait ressortir toutes les beautés du dessin ».
Une autre vignette, horizontale celle-là, représente Icare en vol.
Elle existe également en brun, violet, bleu et rouge. Les vignettes sont imprimées en feuilles de 35 : 30 verticales (Atlas) et 5 horizontales mais disposées verticalement (Icare). Toutes ces vignettes existent dentelées et non dentelées.
Les 2 vignettes Atlas et Icare ont également été imprimées non dentelées en vert pour le comité d’organisation (rares). En 1927 les vignettes Atlas ont été réimprimées en brun et en rouge avec surcharge noire « Après Paris venez tous à Strasbourg le 4 juin 1927 » et en violet et en bleu, mais avec surcharge rouge.
Le catalogue de l’exposition
Le catalogue de l’exposition, vendu 3 francs, comporte des publicités de négociants (dont la 4ème de couverture, vendue aux enchères car il y avait plusieurs demandes). Il est surtout remarquable par la reproduction en bleu du bloc-feuillet de l’exposition.
Les entiers postaux
Deux cartes postales timbrées sur commande 15c vert et 45c rouge sont émises pour l'exposition (Storch - Françon - Sinais, pas B2 et pas E1).
Les comités de l’exposition
Le comité d’Honneur comprend 41 membres parmi lesquels Laurent Bonnevay, sénateur, Coudron, Directeur du Dépôt Central des Timbres-poste, Dezarnaud, député, rapporteur du budget des Postes, Hughon, ingénieur en chef des ateliers du Timbre-poste, Lacroix, receveur principal des Postes de la Seine, Laurent, sous-directeur au Dépôt des Timbres, de Nolhac, de l’Académie française, le baron H. de Rothschild...
Au Comité d’Organisation figurent 34 noms parmi lesquels de nombreux grands philatélistes, collectionneurs ou négociants parmi lesquels Champion, Emin, Farges, Francois, Gilbert, Langlois, Lemaire, Marquelet, Miro, Pavoille, Peleeheid, Veneziani, Yvert. Le jury comprend 6 membres pour la France (Langlois, Champion, François, Gilbert, Lemaire, Schoeller).
Les grandes nations philatéliques y sont representées : Grande-Bretagne (3), Belgique (3), Pays-Bas (2), Italie (1), Suisse (1), Espagne (1), Suède (1) et États-Unis (2). Tous ces pays ont aussi des commissaires généraux (6 pour la France). Ces instances sont complétées par un vaste comité de patronage de plus de 100 membres, d’Ackermann (États-Unis) à Zumstein (Suisse).
La Société Internationale des Négociants en timbres-poste crée un insigne spécial pour l’exposition. « Ce petit bijou très coquet, destiné à être porté à la boutonnière, sera comme un lien visible entre les adhérents. Il permettra aux sociétaires de l’étranger de reconnaitre leurs collégues et de s’adresser à eux en toute sécurité pour trouver guide et amitié ».
Médailles et récompenses
La médaille de l’exposition représente d’un coté un timbre 1fr Cérès de 1849 et le navire emblème de la ville de Paris et de l’autre une vue du pavillon de Marsan. Le grand-prix de l’Exposition est offert par la Fédération des Sociétés Philatéliques Françaises sous la forme d’un objet d’art. Pour récompenser les exposants, des médailles d’or peuvent être souscrites au prix de 400 francs, de vermeil au prix de 100 francs, d’argent au prix de 75 francs et de bronze au prix de 25 francs.
La Société Française de Timbrologie, la Chambre Syndicale des Négociants en timbres-poste de Paris, la société Internationale des Négociants en Timbres-poste, l’Association Nouvelle de Timbrologie, le Groupement Philatélique de France achètent chacun une médaille d’or. Les dons en espèces sont également acceptés : ils proviennent essentiellement de l’étranger.
Le programme de l’exposition
Il est chargé.
Samedi 2 mai à 10h : Réception de la Presse à l’Exposition, à 14h30 ouverture de l’exposition au public, à 17h, réception des négociants en timbres-poste à l’Hôtel Richmond, 11 rue Helder.
Dimanche 3 mai : Après un rassemblement à 9h30 au rond-point des Champs-Élysées, côté des n° pairs, hommage au Soldat Inconnu à 10h, puis à 11h, réceptions des congressistes et exposants au Palais Royal, Brasserie de Valois.
Lundi 4 mai : Congrès des Sociétés Philatéliques françaises à l’Aéroclub de France, 35 avenue François 1er. Pendant ce temps, une bourse réservée aux négociants en timbres-poste se tient dans les salons de l’hôtel Continental, 1 rue de Castiglione. Une réunion quotidienne de marchands aura lieu chaque jour, de 21h à 23h au Café de la Mairie, 4 rue Drouot. Mardi 5 mai : Suite et fin du Congrès des Sociétés Philatéliques françaises et de la bourse des négociants. À 15h, Congrès Philatélique international à l’Aéro-Club de France.
Mercredi 6 mai : Suite et fin du Congrès Philatélique international à l’Aéro-Club de France et à 19h30 banquet au Palais d’Orsay. Jeudi 7 mai : Journée d’aviation au Bourget avec départ vers 9h30 de la Place des Pyramides, déjeuner à l’Aéroport du Bourget et retour à Paris vers 16h.
Vendredi 8 mai : Départ vers 14 h30 de la Place des Pyramides pour une visite de Versailles et de son château.
Samedi 9 mai à 20h : Banquet des récompenses à l’Hôtel Continental, rue de Castiglione avec lecture du Palmarès puis bal.
Dimanche 10 mai : Départ vers 9h30 de la place du Palais Royal pour une excursion en auto-car à Senlis, Chantilly (visite du château et déjeuner) et Ermenonville avec retour à Paris vers 19h.
Lundi 11 mai : Libre mais possibilité de constitution de 4 groupes pour la visite des musées et monuments de Paris, du Bois de Boulogne et du Jardin d’acclimatation, du Château de Saint-Germain, de Fontainebleau et sa forêt.
Mardi 12 mai 16 heures : Clôture de l’exposition.
Le déroulement de l’exposition
l’inauguration de l’Exposition n’a guère motivé l’Administration et L’Écho de la Timbrologie raconte : « Pas de tambours ni de trompettes ; pas de discours ni de courbettes !
Des journalistes, quelques photographes, et surtout des philatélistes, dont quelques-uns écrasaient leurs dernières punaises. Dès 10 heures il y avait foule. L’après-midi, M. Lebon, directeur de l’Exploitation postale, délégué par le Sous-Secrétaire d’État aux P.T.T. a apporté à l’Exposition la légère contribution des pouvoirs publics ; sa visite a été rapide et est passé complètement inaperçue ». Par contre, dès le matin, les collectionneurs étaient nombreux pour acheter le bloc-feuillet bien sûr, mais aussi pour admirer les merveilles philatéliques venues du monde entier.
L’Exposition était divisée en 29 classes.
Théodore Champion présentait ses grandes raretés de Guyane, Haïti et Maurice ainsi que ses beaux timbres français. Henri Kastler présentait une partie de sa collection de France et d’Alsace-Lorraine sous le titre : Exposition historique et rétrospective de la Guerre franco-allemande de 1870-71. Henri Bauer expose une collection d’Alsace-Lorraine « constituée par 18 volumes dans lesquels près de 10.000 pièces sont classées avec la méthode la plus sûre ».
Dans la vitrine de M. Monroux « champion des colonies françaises », « une enveloppe hypnotisait les regards : elle était couverte de timbres-taxe de la Guadeloupe, dont deux exemplaires du 40c sur bleu en superbe état ». M. Battanchon de Nice surnommé « le roi de la Colombie » exposait une collection « sans rivale » de ce pays. H. de Rothschild exposait quelques pages de sa collection générale (dont un 1f vermillon aux marges magnifiques) « qui indiquaient une collection confortable et soignée ». Chez les étrangers M. Liechtenstein « faisait figure de géant ...
Sa collection, tant par le choix des pièces que par l’étude qui en était faite, semblait dépasser de beaucoup celle de feu Ferrari ». C’est un Anglais, J.R.A. Clarke, qui exposait la plus belle collection de France : quatre vermillons, un bloc neuf du 15c vert, 1 du 1c bleu de Prusse, de nombreux tête-bêche. Les timbres du Cap de M. Riesco (de Londres) montraient « quelques émeraudes de derrière les fagots ». La collection spécialisée de Sardaigne en 12 volumes d’Alberto Bolaffi « était un véritable monument élevé par la patience et la compétence ». Le docteur Diena, « par une fantaisie de grand seigneur, ne montrait que des timbres de Sardaigne et de France avec oblitérations monégasques ».
L’exposition fut un succès complet et on ne regretta que l’exiguité des locaux et L’Écho de la timbrologie pouvait conclure : « Telle fut l'Exposition Internationale de Paris, c’est-à-dire d'une magnificence inoubliable. Toutes ces merveilles étaient malheureusement rassemblées dans un écrin trop petit. Le Comité n’avait pas compté sur un si grand nombre d’exposants ; l’eut-il prévu d’ailleurs qu’il lui aurait été difficile de trouver un autre local au centre de Paris.
Il fut donc forcé de tasser ses panneaux en largeur et en profondeur ; si bien qu’on ne pouvait que difficilement circuler entre leurs rangs serrés. Il n’avait pas escompté non plus une si grande affluence de visiteurs ; sous ce rapport l'Exposition obtint un succès inespéré : à toute heure du jour la foule était dense qui envahissait le Pavillon de Marsan, et c'était vraiment une foule philatélique, venue des quatre coins de Paris, de province et du monde entier ; on était entre collectionneurs, entre amis, et les ondes sympathiques vibraient à haute tension ».
Poste aérienne et aérophilatélie à l’exposition de 1925
La journée philatélique d’aviation le jeudi 7 mai est l’une des principales attractions de l’exposition.
Malgré la pluie, 250 philatélistes arrivent au Bourget et, vers 11h, « une heureuse éclaircie permet d’admirer le spectacle rare et impressionnant d’un régiment entier d’aviation déployé en formation de combat ». Une visite détaillée de l’aérodrome s’ensuit : service météorologique, poste médical, aire d’embarquement, contrôle douanier, etc. À midi le déjeuner est servi dans un hangar d’aviation. Il est présidé par Laurent Eynac sous-secrétaire d’État de l’Aéronautique entouré d’Albert Coyette qui, dans une brève intervention « fait ressortir les liens très directs qui unissent l’aviation à la philatélie et à l’Aérophilatélie », et du colonel commandant le 34e régiment d’aviation.
Des plis revêtus d’une vignette allégorique (un homme ailé) sont envoyés par avion vers Londres, Bruxelles, Amsterdam, Strasbourg et Istanbul. Après le déjeuner, les as de l’acrobatie Alfred Fronval et Adrienne Bolland font des exhibitions, tandis que de nombreux collectionneurs reçoivent leur baptême de l’air. Tout le monde est de retour à Paris à 17h.
Les collections d’aérophilatelie exposées à Paris montrent l’importance prise par cette nouvelle collection dans le monde entier. L’écho de la timbrologie s’émerveille devant la collection d’un Anglais : « Les collections de poste aérienne exposées au Pavillon de Marsan nous ont fourni une preuve éclatante de l'importance acquise par l’aéro-philatélie dans le monde entier.
Il n’est guère possible, dans un cadre restreint, de citer en détail tous les joyaux - mis sous verre - qui attiraient notre attention. Donnons un coup d’œil d’ensemble en passant en revue les principales pièces des différentes collections exposées. La première place revient incontestablement à M. W.-J. Stanley de Londres qui, dans une série de douze tableaux, nous donne l'assemblage le plus éblouissant qu'on puisse rêver de documents de la poste aérienne.
La fortune, aidée puissamment par la connaissance approfondie de la matière, a permis à cet heureux collectionneur de réunir des documents rarissimes, presque toujours d’une fraîcheur éclatante, qu'on rêverait vainement de posséder. Ces pièces sont présentées avec un goût exquis : des notes nombreuses ornent chaque feuille et donnent l'historique de chaque document.
L’exposant a poussé le soin de la documentation jusqu’à l’extrême limite : on voit, en effet, figurer sur les feuilles des cartes topographiques, dessinées de main de maître, indiquant le parcours aérien effectué par le document exposé.
On se rend compte, en admirant cette collection, de l’étude minutieuse qu’elle a coûtée et du choix judicieux que le collectionneur a su faire dans ses achats ». W. J. Stanley obtient une médaille d’or. On peut aussi citer la présentation de R. Sordes, de Paris, qui comporte une enveloppe de Terre-Neuve avec surcharge manuscrite, qui remporte une médaille d’argent. J. Steinmetz, de Philadelphie gagne le vermeil pour son ensemble de pièces aériennes des États-Unis.
Le bloc-feuillet de l’exposition et ses avatars
En matière de blocs-feuillets le Luxembourg et la Belgique font figure de précurseurs : le Luxembourg avec les blocs-feuillets n°1 (n°123, 15c rouge-carmin, Grande duchesse Charlotte, en bande de 5 sur feuillet 161 x 104 mm pour célébrer la naissance du prince Jean) et bloc-feuillet n°1A, 10f vert foncé dentelé 11 (n° 140) imprimé sur feuillet 79 x 59 mm. La Belgique émit un bloc-feuillet de 4 timbres 5f chaudron sur crème (n°218) à l’occasion de l’exposition philatélique de Bruxelles (BF n°1). Mais ces blocs-feuillets ne comportent aucune mention sur le pourtour, si bien que l’on considère le bloc-feuillet de Paris 1925 comme le premier bloc-feuillet philatélique du monde.
Ce grand bloc feuillet 135 x 210 mm de 4 timbres 5f Sage est mis en vente à l’ouverture de l’Exposition Philatélique Internationale au Pavillon de Marsan (Palais du Louvre) 107, rue de Rivoli. Le bloc, indivisible, est vendu 20 F aux visiteurs ayant préalablement acquitté le ticket d’entrée à l’exposition de 5 F. La publicité précise : « la composition est détruite et il n’y aura pas un seul exemplaire supplémentaire ». le tirage est de 50 000 exemplaires Malgré sa grande taille, le public fait bon accueil à ce « bloc-exposition ressuscitant le type Sage pour notre plus grand plaisir dans un élégant encadrement », commente L’Écho de la Timbrologie. Profitant de l’expérience de Bruxelles en 1924, le Comité fait délivrer jusqu’à 5 blocs à ceux qui le désirent ce qui permet d’éviter les embouteillages. Le jeudi il ne reste que 3 000 blocs et le Comité décide de restreindre les ventes à 1 exemplaire par personne ce qui entraine les protestations de quelques retardataires.
À la fin de l’exposition, le bloc est épuisé et se vend déjà 40 F.
Les timbres du bloc ont été parfois découpés et se rencontrent sur le courrier des années suivantes : on connait par exemple des cartes postales par avion France-Colombie transportées par la Scadta. En 1994 notre rédacteur en chef, Michel Melot, donnait dans Timbroscopie de précieux conseils pour la conservation de ce bloc aussi grand que fragile : Si vous en êtes l’heureux possesseur ou si vous comptez en acquérir un, retenez ces quelques conseils, les générations futures vous en sauront gré : Manipulez-le le moins souvent possible et avec le plus grand soin (toujours avec les mains sèches, attention aux griffures provoquées par les becs des pinces) ; Conservez-le bien à l’abri : de préférence sous une pochette en mylar (un plastique translucide parfaitement neutre) ; Ne l’exposez pas au soleil et évitez-lui l’humidité ; Surveillez son verso attentivement et guettez toute apparition de taches de rouille (si c’était le cas, changez sa pochette).
En 1937 le faussaire Georges Vassilev, qui en est à ses débuts, réalise un faux bloc Paris 1925. Prudent il fait figurer une petite mention « faux » sous l’angle inférieur gauche de chaque timbre.
Le bloc bleu du catalogue de l’exposition de 1925 réapparait en 1989 avec encadrement noir ou rouge. Il s’agit de reproductions réalisées par la société House of Stamps de Genève et distribuées gratuitement à l’entrée de Philexfrance pour promouvoir ses reproductions. En 2016, lors du 70ème Salon philatélique d’Automne, on rencontre un bloc à encadrement rouge revêtu de 4 timbres mobiles 0,80€ Sage rouge (YT 5096) issus du carnet à composition variable n° 1523.
Enfin en 1975 la Société philatélique de Saint- Maur et Joinville a édité un bloc souvenir pour le centenaire du type Sage et le cinquantenaire du bloc-feuillet de Paris 1925.
Bertrand Sinais
Remerciements à Didier Personne de l’association Arc-en-Ciel pour la communication de son étude « La légende du bloc bleu » et à Brigitte Jaouen, secrétaire administrative de la FFAP pour son aide.