1925 : Étampes-Dakar et retour, un raid mouvement... et philatélique

Carte postale extraite d’un carnet édité par la Ligue Aéronautique de France.
Le 3 février 1925 les capitaines Henri Lemaître et Ludovic Arrachart tentent de battre le record du monde de distance en avion en ralliant Dakar en ligne droite. Un raid mouvementé qui donna lieu à plusieurs productions philatéliques.
Les deux héros du raid : Henri Lemaître et Ludovic Arrachart (1894-1935) fut breveté pilote en 1912. Pendant la première guerre mondiale, spécialisé dans le bombardement, il obtint deux victoires aériennes. 

Il gagna la notoriété grâce à la liaison Toulouse-Casablanca et retour avec Pierre-Georges Latécoère du 8 au 13 mars 1919. Puis il réalisa le raid Paris-Casablanca-Port Étienne avec Guichard sur Bréguet XIV B2 du 18 au 28 juin 1919. 

Ludovic Arrachart (1897-1933) naquit à Besançon et s’engagea dans l’infanterie à la déclaration de guerre en août 1914. Blessé à Verdun en 1916, il le fut à nouveau en mars 1917, il fut réformé pour l’infanterie mais accepté pour l’aviation où il servit comme observateur à l’escadrille M.F. 40 où il s’occupa du réglage des tirs d’artillerie. 

Après l’armistice de 1918 il prit des leçons de pilotage sur SPAD biplace et obtint le brevet de pilotage militaire N°18148 le 26 juillet 1919. Il prit ensuite le commandement de l’escadrille d’Alexandrette de 1919 à 1922. De retour en France il fut affecté à la Commission des essais de l’aéronautique militaire. 

Le 30 juin 1924 il remporta la coupe Michelin en réalisant un tour de France de 2835 km en 15 étapes parcourues en 19 h 22 mn de vol sur un Bréguet XIX B2 de série. A l’assaut du record du monde de distance en ligne droite Il était détenu par les lieutenants américains Mac Ready et Kelly qui avaient, les 2 et 3 mai 1923 sur un Fokker T2 à moteur Liberty de 400 chevaux, relié Long Island près de New-York à San-Diego (Californie) établissant un record de distance en ligne droite sans escale en couvrant 4088 km en 26 heures et 38 minutes. 

Cette tentative de record est une initiative personnelle de Louis Bréguet qui met à la disposition de Lemaître et Arrachart un avion Bréguet BR 19-GR dont l’autonomie avait été portée de 1200 km à 4200 km par diverses modifications. 

Très aérodynamique pour l’époque, c’était une véritable citerne volante de 5 réservoirs à l’intérieur du fuselage dont un de 1146 litres. Il était propulsé par un moteur Renault de 500 chevaux. L’appareil, lourdement chargé de plus de 2000 litres d’essence, pèse une tonne de plus que ce qui est officiellement autorisé. Il a besoin de deux tentatives pour décoller du terrain de Mondésir à Étampes le 3 février 1925 à 11h38.  à 15h10, Lemaître et Arrachart survolent Biarritz, puis l’Espagne avec Madrid, Tolède, Cordoue, Séville. Ensuite ils suivent la côte d’Afrique en se guidant sur les phares de Tanger et de Larache. Puis c’est le survol de Rabat et de Casablanca avec son phare à éclipses, puis Mogador. Ensuite l’avion s’engage dans un tunnel noir avec le survol de la Mauritanie et du cap Juby à 3 h du matin. L’avion longe la côte de la colonie espagnole de Rio de Oro et tout semble normal et même monotone. 

Arrachart raconte : « Nous nous laisserions facilement aller à quelque lassitude, à quelque somnolence, encouragée par la chaleur et le rythme monocorde de notre moteur, si quelques ratés ne venaient troubler subitement cette monotonie au moment où nous survolions un petit fortin trapu, érigé tout contre une lagune. Villa Cisneros ! avait vite repéré Lemaître. Il nous restait suffisamment d’essence pour atteindre Port-Etienne… Mais il nous parut préférable après le parcours prolongé que nous venions d’effectuer, et avec le chemin désertique qui nous restait à parcourir, d’atterrir en cette manière d’oasis pour nous rendre compte de la cause des ratés. Une cause bien minime, infime, qui fera sourire bien des pilotes : un fil de bougie détaché ! Cette constatation nous fit amèrement regretter, par la suite, de n’avoir pas poursuivi notre route ». 

Lemaître et Arrachart ont parcouru 3166 km mais ce ne sera qu’un record français, le record du monde restant la propriété des Américains Marc Ready et Kelly avec 4088 km. 

Lemaître et Arrachart décident de rallier Dakar, but du voyage, où les accueille à l’aérodrome le gouverneur général Carde. Le retour vers la France Une fois à Dakar deux options s’offraient aux aviateurs : remettre le cap sur Paris par la voie des airs ou démonter l’appareil et le renvoyer en caisses en France. Ils consultent Louis Renault qui les laisse libres de leur choix. Accablés par la chaleur, ils gagnent Bamako en plusieurs étapes. Après avoir longé les cours des fleuves Sénégal et Niger, ils atterrissent à Tombouctou. Ils y rencontrent le commandant Faucher, responsable du Cercle, qui leur donne de précieux conseils en cas de problème : « Si vous vous posez dans le désert, partez à la recherche d’une piste en emportant le plus d’eau possible et en vous rationnant dès le premier jour. Avec quelques dattes, quelques gorgées d’eau le matin et autant le soir, vous pouvez marcher.


Si vous trouvez un puits, demeurez-y en mangeant peu pour durer le plus longtemps possible. Un jour ou l’autre quelqu’un passera ».  Le 20 février ils quittent Tombouctou à 6 heures du matin, emportant 1000 litres d’essence pour 12 heures de vol. Leur prochaine étape est Adrar à 1500 kilomètres en passant par Tabankor, Tessalit et Ouallen. Malheureusement un défaut dans leur plan de vol de 6° les fait s’engager trop à l’Est et suivre la piste de Kidal au lieu de celle de Tessalit. Vers 10 heures ils se rendent compte qu’ils font fausse route et tentent de la redresser en direction d’Ouallen, mais pas suffisamment. Ils se retrouvent perdus au-dessus du Sahara. Une tempête de sable se lève et la visibilité devient nulle. 

La tempête s’apaise et le soir le désert de sable fait place à un désert de pierre. Le réservoir d’essence est désormais vide et les aviateurs utilisent leur « nourrice », réservoir d’appoint, dont les 40 litres de benzol sont épuisés en une demi-heure. Ils sont donc condamnés à un atterrissage forcé qui se fait sur un espace pierreux. Une aile est touchée et un pneu éclate. 

Transis de froid, ils partent à pied vers le nord avec 5 kilos de dattes et 30 litres d’eau. Ils butent dans la nuit sur des pierres tranchantes et le lendemain, glacés jusqu’aux os et épuisés, ils atteignent une grande vallée et aperçoivent un homme qui vient vers eux. Il s’appelle Boaous ben Mohammed, surnommé Bouchat, c'est-à-dire « le courrier » car il avait assuré le service postal entre In Salah et les fortins du désert après avoir appartenu aux compagnies méharistes. Lemaître et Arrachart apprennent qu’ils sont à quatre journées de chameau d’El Goléa et à peu près au centre du triangle El Goléa-In Salah-Timimoun. 

Le lendemain, après avoir absorbé un repas de lézard de palmier et de Terfess, sorte de champignon du désert, ils partent à la recherche de leur avion qu’ils retrouvent intact.  Après une marche pénible de plusieurs jours, les deux aviateurs et leur guide parviennent à El Goléa où ils sont accueillis par le lieutenant Brunet et le docteur Curie. Ils communiquent par radio avec leurs familles, avec le Sous-Secrétariat de l’Aéronautique et avec Louis Renault, constructeur du moteur de l’avion qui, le soir même, prévient que des véhicules six roues Renault partent immédiatement d’Alger pour El Goléa afin de prendre en charge Lemaître et Arrachart et de dépanner l’avion. 

Le soir du 6 mars les deux voitures Renault apparaissent, montées par le capitaine Duboc de l’aviation d’Alger, un mécanicien et deux conducteurs. Le 7 mars le convoi part vers l’avion qu’ils retrouvent dans l’état où ils l’avaient quitté. Après les réparations l’avion décolle le lendemain pour El Goléa qu’il atteint après une heure de vol. Le 10 mars ils quittent El Goléa pour Alger via Lagouat, Djelfa, Boghari et la plaine de la Mitidja avant d’atterrir à l’aéroport d’Hussein Dey. 

Les étapes suivantes sont El Goléa-Alger (15 mars), Alger-Oran (17 mars), Oran-Fez (18 mars), Fez-Casablanca (21 mars), Casablanca-Alicante (22 mars), Alicante-Barcelone (23 mars), Barcelone-Lyon (24 mars) puis Lyon-Villacoublay où ils atterrissent à 14 heures sous un soleil radieux, accueillis par Laurent-Eynac, Sous-Secrétaire d’État à l’Aéronautique, le général Dumesnil, Louis Renault et Louis Bréguet. 

Environ 13000 kilomètres avaient été parcourus au cours d’un vol effectif de 54h45.  à Dakar une partie du courrier du vol retour fut refusée par l’équipage comme trop volumineux. Elle fut transportée par paquebot de Dakar à Bordeaux. Ces plis comportent uniquement au verso le cad d’arrivée de Chaville (en général 13.3.1925). On connait 5 lettres écrites par Arrachart affranchies en timbres du Soudan oblitérées à Tombouctou (19 fév 23) avec arrivée Chaville 13.3.25, transportées par voie aérienne de Tombouctou à El Goléa puis par voie ordinaire jusqu’à Chaville. 

Un raid très philatélique 

À l’occasion de cette tentative de record du monde une vignette violet et bistre-brun sur papier couché fut éditée au profit des deux aviateurs. Le tirage fut de 1650 vignettes dentelées de format 35 x 39,5 mm et 100 non dentelées. 

Elle représente les portraits des 2 aviateurs dans un cadre formé de paysages de France et du Sénégal et surmontant une carte géographique du raid projeté. Chaque feuille comporte 3 variétés constantes : centre renversé (7ème case), le mot « fév. » sans point (17ème case) et une paire de tête-bêche (19ème case). 

On note aussi que le nom « Arrachard » comporte un D au lieu d’un T. Une telle accumulation de variétés dénote une volonté philatélique évidente.  Des essais de couleurs non dentelés existent avec les mêmes variétés que le tirage définitif : bleu-clair et bistre-brun, vert-clair et bistre-brun vert-jaune très pâle et bistre-brun.  

Curieusement pour l’exposition philatélique « Prisonniers » du 16 février 1946 la vignette non dentelée violet et bistre-brun surchargée « 1925-1945 entr’aide de l’aviation » et grevée d’une surcharge exorbitante de 1000 frs fut utilisée. 

On la connait sur les cartes postales de la journée « Prisonniers » de Paris.  La diffusion de la vignette Lemaître-Arrachard est assurée dès 1925 par des négociants dont madame Paule Breton 5 avenue de la République à Paris Xème et Frank Muller, futur auteur du catalogue des aérogrammes du monde entier, qui exerce à l’époque à Noisy-le-Sec. Vers d’autres exploits Après le raid Étampes-Dakar et retour, Henri Lemaître part pour la Bolivie où le 13 novembre 1926 il réalise la liaison Potosi-Cochabamba de 7 heures à 9 heures du matin en survolant la Sierra de Los Frailes à 6500 mètres d’altitude. Potosi est une ville de 60.000 habitants située à 4700 mètres d’altitude et principal centre minier de la Sierra de Potosi. Quant à Cochabamba, c’est la capitale agricole de la Bolivie. Deux heures d’avion permettent d’éviter un pénible voyage de 4 jours en chemin de fer à travers les labyrinthes montagneux de la Sierra. 

Aucune publicité n’ayant été faite pour ce vol, le courrier transporté est très faible : deux lettres et huit cartes postales revêtues d’une griffe verte « Primer correo aereo » et d’un cachet vert avec armoiries « Prefectura y Commandancia del Departement de Potosi ». (Muller Bolivie N°10). 

Revenu en France il décédera en 1935. Le 10 août 1925 Ludovic Arrachart et l’ingénieur Carol quittent Villacoublay sur un Potez 25 pour effectuer un tour d’Europe en trois jours : Chaville-Belgrade-Constantinople (2400 km) puis Contantinople-Bucarest-Moscou (1950 km) et enfin Moscou-Varsovie-Copenhague-Le Bourget (3070 km). Le 26 juin 1926 le capitaine Ludovic Arrachart et son frère l’adjudant Paul Arrachart décollent du Bourget à 5h05 du matin à bord du Potez 28/2 N°01 équipé du nouveau moteur Renault de 550 cv et des réservoirs supplémentaires afin de battre le record du monde de distance. Ils battent le record en atterrissant à Bassorah en Irak, en ayant parcouru 4305 km sans escale en 26h25 de vol. Au retour ils font escale à Bucarest mais leur avion s’écrase à Harta, à 100 km de Budapest. 

Les deux frères se sortent indemnes de l’accident. Il y eut 27 plis du vol Chaville-Bassorah et 21 du vol Chaville-Bassorah-Bucarest. Ayant perdu leur record battu le 14 juillet 1926 par Girier et Dordilly sur Paris-Omsk (4715 km), les deux frères Arrachart décollent le 28 septembre 1926 à 2 heures du matin du Bourget, espérant atteindre Novo Sibirsk ou même Krasnoïarsk, mais ils ne peuvent franchir l’Oural enveloppé d’épais nuages et ils doivent atterrir à Nazipetrovsk près de Sverdlovsk (Ekaterinburg). Les deux frères Arrachart disposent encore de 600 litres d’essence mais le record n’est pas battu. Les cartes reçoivent le timbre à date de Nazipetrovsk du 29-9-26 puis, la réparation de l’aile abimée à l’atterrissage prenant du temps, celui du 6-10 et le courrier est remis au chemin de fer transsibérien. Désormais Ludovic Arrachart renonce à battre le record du monde de distance. En 1929 il réalise avec Rignot un raid Villacoublay-Pékin par étapes en trois mois.  Le 24 mai 1933 Ludovic Arrachart trouve la mort lors d’un vol d’entrainement en vue de la coupe Deutsch de la Meurthe.

Bertrand Sinais