De l’été 1940 à juillet 1943, la France libre rallie 13 territoires de l’Empire colonial, en Afrique, dans le Pacifique, puis en Amérique du nord, enfin dans l’Océan indien. Le contrôle postal militaire exerce une surveillance sur les correspondances. Une mission essentielle est d’éviter la sortie en fraude de capitaux, d’or, voire de timbres.
Le contrôle postal constitue pour la France libre un attribut de souveraineté. Il doit coopérer avec les Alliés, les Britanniques, mais aussi les Américains en Nouvelle-Calédonie à partir de 1942, tout en préservant autant que possible son caractère national. Cela passe notamment par une reconnaissance des exemptions de censure postale ; par exemple, lors de sa séance du 14 mars 1941, la conférence administrative de la France Libre, à Londres, évoque un télégramme au général Catroux censuré par le Trade with Ennemy Branch britannique.
Le Général de Gaulle donne à René Pléven des instructions écrites de se rendre de sa part au Foreign Office et de dire qu’il ne peut pas accepter que les autorités britanniques modifient ou retiennent des télégrammes adressés par lui à ses subordonnés. Cette même conférence administrative, lors de sa séance du 8 avril 1941, décide d’établir une liste restreinte et confidentielle des personnalités de la France Libre dont la correspondance échappera au contrôle de la censure.
Des incidents existent en sens inverse. Début 1941, un officier de la mission militaire britannique
en AEF, le capitaine du génie Clive de Paula, dépose une réclamation au sujet d’une lettre expédiée de Pointe-Noire le 16, arrivée à Brazzaville le 17 et qui ne lui est remise que le 24 janvier.
Les PTT mettent ce retard sur le compte du bureau de la censure. Mais le lieutenant président de la commission régionale de contrôle postal de Brazzaville expose au chef du 2ème bureau, président de la commission centrale de contrôle postal, qu’aucune négligence ne peut être reprochée au contrôle postal en ce qui concerne ce retard. Si cette lettre a bien été remise à ce service le 17 janvier, « elle n’a pas été contrôlée ainsi que le prouve l’absence de toute bande de censure. Le cachet de la Commission de Brazzaville n’a même pas été apposé sur l’enveloppe, celle-ci portant déjà celui de la Commission de Pointe-Noire ; elle a donc été remise immédiatement, ainsi que toutes les autres lettres non retenues pour contrôle, aux agents des P.T.T. chargés du tri et de la distribution des correspondances ».
Il accuse clairement le directeur des PTT, Soustre, de chercher à masquer une défaillance du bureau de Brazzaville : « M. le directeur des P.T.T., voulant excuser une erreur de son Service, n’a pas hésité à rejeter la responsabilité de l’erreur sur cette pauvre "Anastasie" tant détestée ». De plus, les commissions de censure fonctionnent souvent dans des conditions difficiles. Par exemple, à Bangui, fin 1942, le service du contrôle postal militaire est installé dans le local réservé au bureau du receveur, où celui-ci a son coffre-fort. Ce local n’ayant qu’une porte ouvrant à l’intérieur est naturellement fermé à clé dans l’intervalle des vacations de l’officier de contrôle, un missionnaire, capitaine de réserve. Pour le directeur des PTT de l’AEF cela pose deux problèmes. Le receveur ne peut avoir accès à son coffre que durant les vacations du contrôle postale et les visiteurs traversent le bureau de poste, service départ.
Le contrôle postal de la France libre
De l’été 1940 à juillet 1943, la France libre rallie 13 territoires de l’Empire colonial, en Afrique, dans le Pacifique, puis en Amérique du nord, enfin dans l’Océan indien. Le contrôle postal militaire exerce une surveillance sur les correspondances. Une mission essentielle est d’éviter la sortie en fraude de capitaux, d’or, voire de timbres.
La censure du courrier de France Les correspondances échangées avec la France sont particulièrement surveillées. Celles reçues peuvent aider à percevoir l’état d’esprit en Métropole. En Afrique française libre (AFL), regroupant l’AEF et le Cameroun, les arrivées sont irrégulières. Par exemple, le 3 avril 1941, la commission de censure britannique de Lagos, au Nigéria, informe Brazzaville que 41 sacs de courrier provenant de France occupée (cartes interzones) ou de ZNO via Dakar, vers diverses destinations de la France Libre lui sont expédiés le jour même. Elle alerte les autorités françaises sur le fait qu’aucune de ces correspondances n’a été vue par le contrôle postal britannique. Les télégrammes expédiés de Brazzaville pour la France ne sont acceptés par la poste de Brazzaville que si le nom de famille de l’expéditeur est transmis à la suite du texte. Les PTT n’acceptent pas un télégramme signé du seul prénom.
Le 10 février 1941, le commandement supérieur des troupes de l’AFL signale que cette prescription qui pouvait avoir sa raison d’être avant l’armistice est devenue une gêne pour les militaires de Brazzaville voulant donner des nouvelles à leur famille sans faire connaître leur nom de famille ; « elle se comprend d’autant moins que tout télégramme doit porter l’adresse de l’expéditeur et sa signature et que le contrôle télégraphique est à même de connaître l’identité de l’expéditeur ». Il exprime le vœu que les services du gouvernement général rapportent cette prescription « qui constitue une anomalie ». Le secrétaire général de l'AEF saisit les PTT mais ceux-ci estiment que cette prescription imposée par le ministère des Colonies au début des hostilités est impossible à rapporter.
Courrier clandestins
L'AFL est en contact sur le golfe de Guinée avec des territoire neutres, le Cabinda (Angola) et la Guinée espagnole. Bien qu’un décret-loi du 3 juin 1940 porte interdiction du transport de correspondance par les personnes venant de l’étranger ou y allant, cette proximité géographique facilite les fraudes. Malgré les ordres formels donnés, des lettres privées continuent d'être remises à des porteurs chargés de les acheminer directement vers le destinataire, ce dernier étant en AFL ou à l’extérieur. Le 24 avril 1941, le haut-commissaire en AFL, de Larminat, diffuse une note à l’ensemble des gouverneurs relative au transport clandestin de lettres, rappelant que toutes les correspondances doivent être postées et qu’aucune lettre ne doit être acheminée clandestinement : « Des sanctions sévères seront prises à l’avenir contre ceux (expéditeurs et porteurs) qui se trouveront en infraction ». Du 20 au 23 mai 1941, la pinasse Bakoko de la marine de l’AFL, armée de deux fusils mitrailleurs, effectue une patrouille le long de la côte gabonaise, entre Libreville et Cocobeach, avec pour mission d’arraisonner toute embarcation et de s’assurer qu’elle est en règle. Un remorqueur avec un chaland ou des pirogues de pêcheurs sont visités sans résultat.
Enfin, le remorqueur Regina est arraisonné et à son bord un courrier clandestin est saisi puis remis à la commission de contrôle postal de Libreville. Le rapport de son président le juge sans intérêt, mais gênant : « En résumé ce courrier ne présentait pas de correspondance susceptible de nuire à la défense nationale (…). Cependant il témoigne que les populations n’ont pas compris que la correspondance clandestine est interdite et qu’ils la pratiquent de façon courante. Cet état de chose peut amener des inconvénients sérieux ».
D’où un rappel des instructions en cours aux administrations. Le 2 juillet 1941, le commandant militaire à Libreville signale plusieurs affaires de correspondances destinées à nouveau au Gabon, passant par la Guinée espagnole. Une première saisie concerne un courrier adressé au directeur du Consortium forestier des grands réseaux français (CGCF) par des transfuges passés le 19 avril précédent en Guinée espagnole où ils attendent « la possibilité de rejoindre une colonie française du Gouvernement de Monsieur le Maréchal Pétain ». L’expéditeur propose notamment « en envoyant un pahouin (…) de porter et de faire parvenir un courrier en France (…) et même les pièces comptables etc. ». Une autre lettre est saisie au moment où le directeur de la Société du Haut Ogooué (SHO) la reçoit « d’un indigène venant de Cocobeach ». Elle fait état d’un trafic, en partie frauduleux, de café et de sucre contre du vin rouge, des apéritifs, du lait en boîte et des cigarettes d’Espagne, au moyen d’un remorqueur de la SHO. Un projet est de faire venir du Cameroun des tôles ondulées, du bœuf en gelée, des « boîtes de Thé Lipton » ou encore des pneus impossibles à trouver en Espagne comme en Guinée espagnole. La correspondance propose des phrases codées à inclure dans les radio-télégrammes afin de faire le point sur les possibilités de troc sans attirer l’attention du contrôle télégraphique. Mais ces plis sont acheminés par des « émissaires indigènes évidemment irresponsables ».
Or la législation en vigueur ne permet de poursuivre que le porteur de la lettre ; il faudrait pouvoir atteindre « les récipiendaires, instigateurs et bénéficiaires du trafic clandestin », autrement dit, le destinataire, « quand celui-ci ne peut faire la preuve qu’il ignorait absolument tout de l’existence et de l’objet de cette correspondance ». Il en résulte le décret du haut-commissaire en AFL du 6 septembre 1941, qui limite l’échange de correspondance
« par exprès » à un même centre urbain ou d’une localité dépourvue de facilité postale à une autre localité à condition qu’aucun bureau de poste ne soit situé sur le parcours.
Une censure économique
Ces circonstances amènent les autorités à diligenter des contrôles ciblés. Par exemple, le secrétaire général de l’AEF, Laurentie, le 1er février 1941, saisit le contrôle postal afin de savoir s’il n’a rien relevé de suspect dans la correspondance d’un exploitant forestier du Gabon. Le 26 avril 1941, il demande au gouverneur du Gabon de bien vouloir orienter l’attention de la commission de contrôle postal sur les questions relatives à l’or : démarches pour obtenir des permis, extraction ou exportation frauduleuse, difficultés entre exploitants, conflits du travail, etc. En effet, et de manière générale, les autorités de la France libre sont confrontées à des trafics illicites. Dans le Pacifique par exemple, le 26 juin 1941, le commissaire résident aux Nouvelles-Hébrides, informe le haut-commissaire à Nouméa qu’une lettre de la Banque de l’Indochine interceptée par la censure admet le transfert de sommes considérables de la Nouvelle-Calédonie à Marseille, en contradiction avec les instructions en vigueur ; il souhaite alerter le quartier général de la France Libre, à Londres, car il « soupçonne que ceci ne constitue pas un cas isolé ».
Et le 21 juillet 1941, le gouverneur des Etablissements français en l'Océanie signale à Londres que, bien que la censure postale ait de tout temps été stricte à Papeete, elle n’a jamais réussi à arrêter complètement les communications avec la France et Saigon ; « Je resserre la censure et examine personnellement pour le moment les télégrammes vers cette destination, en attendant de pouvoir reconsidérer cette question délicate », assure-t-il. Les exportations de capitaux vers la France sont aussi une réalité en AEF. Le 16 avril 1941, la commission de contrôle postal de Libreville suspend l’acheminement d’un télégramme de la succursale de la Banque de l’Afrique de l’Ouest (BAO) à son bureau de Marseille. L’expéditeur conteste cette décision. Il s’agit de faire virer de Dakar vers le siège métropolitain 500.000 f destinés à l’achat de différents matériels pour la Société du Haut-Ogoué et la Société d’entreprises africaines, devenus inutilisés du fait du ralliement du Gabon à la France Libre. La BAO ignore « si l’exportation des capitaux sur France se trouve réglementée (…) n’ayant eu connaissance d’aucun arrêté à ce sujet ». La banque estime au surplus que cette opération ne représente pas une exportation de capitaux d’AEF vers la France, mais de Dakar sur la France ; autrement dit, que ce transfert ne concerne pas l’AFL. Le gouverneur du Gabon saisit Brazzaville qui prend l’avis du colonel Antoine, directeur du service des affaires administratives et financières à Londres. La conclusion est qu’il n’y a pas lieu de déroger à la réglementation sur l’interdiction aux maisons de commerce de correspondre avec leurs sièges situés en pays occupé ou sous contrôle de l’ennemi. Le gouverneur du Gabon reçoit donc instruction, le 16 mai 1941, d’arrêter définitivement ce télégramme
Contrôle postal et trafic de timbres
Les commissions de contrôle sont régulièrement amenées à exercer une surveillance sur les envois de timbres neufs qui constituent une sortie de capitaux. A Saint-Pierre-et-Miquelon, depuis 1939, la commission de contrôle postal de Saint-Pierre était composée du chef du service judiciaire, président, du chef de cabinet de l’administrateur, du juge de paix et du chef du service des douanes. Un rapport établi le 16 novembre 1944 sur les nombreuses fraudes consécutives à la commercialisation des timbres surchargés note que, dès le ralliement, les intéressés sont écartés. La commission a fonctionné ensuite et jusqu’à la fin de novembre 1942 « avec des membres désignés verbalement ». En particulier, deux journalistes Le Bret et Benda, des personnages douteux qui s’étaient mêlés à l’expédition des forces navales françaises libres, paraissent avoir exercé au début du ralliement un contrôle sur la censure postale. Leurs manœuvres finissent par alerter Londres. Le 13 avril 1942, le Comité national Français expédie un télégramme secret à déchiffrer par le gouverneur personnellement, Alain Savary. Il lui fait savoir que le délégué de la France libre à Ottawa, le colonel Pierrené, a avisé le quartier général de la France Libre de rapports de la police canadienne suivant lesquels Benda, chargé par intérim de l’information et de la censure, laisserait passer de nombreux envois suspects : « De lettres saisies au Canada il résulterait que Benda s’intéresse personnellement à transactions timbres surchargés, avec un certain Pam » de Montréal. La police suspecte aussi Le Bret et un Saint-Pierrais, aucune preuve n’étant toutefois avancée s’agissant de ce dernier. Londres recommande à l’administrateur de veiller personnellement à ce que les transactions de timbres soient toujours exécutées de la façon la plus régulière. Enfin, le 30 novembre 1942, l’Administrateur Savary prend un arrêté nommant à la censure Emile Sasco, président du tribunal d’appel, le capitaine Villers, chef du ravitaillement, Louis Plantegenest, juge de paix ainsi que son chef de cabinet et le chef du service de l’information, toujours le journaliste Le Bret, mais celui-ci quitte le territoire en décembre suivant.
François Chauvin