Les surtaxes aériennes dans les Terres australes et antarctiques françaises

li recommandé de terre Adélie du 20 janvier 1965 pour la France affranchi à 237 F.

Se passionner pour les surtaxes aériennes d'un territoire que l'on ne peut aborder que par bateau peut paraître étonnant. En effet, le territoire des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) est composé des îles Éparses, au nombre de cinq, réparties autour de Madagascar, des îles australes, Crozet, Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam dans l'océan Indien et de la terre Adélie sur le continent antarctique. Plusieurs essais de vouloir équiper certains de ces districts d'une piste d'atterrissage se sont avérés infructueux.
 

Rappelons que le décret du 21 novembre 1924 rattache les îles Saint-Paul et Amsterdam, les archipels Crozet et Kerguelen ainsi que la terre Adélie au gouvernement général de Madagascar. 

À cette époque, ces districts ne sont pas habités et ne reçoivent que les visites temporaires de chasseurs de phoques ou de missions scientifiques. En décembre 1947 et janvier 1948, l'Union Sud-Africaine occupe les îles Marion et Prince Edouard tandis que l'Australie occupe les îles Heard et Mac Donald. Des pressions sont exercées par le Royaume-Uni pour que la France occupe les îles relevant de sa souveraineté ou les cède. 

À ces craintes stratégiques militaires, s’ajoute la volonté de l’Organisation météorologique internationale (OMI) d’implanter des stations météorologiques dans l’océan Indien et notamment à Amsterdam et Kerguelen. La France saisit alors l’opportunité de renforcer et officialiser sa souveraineté sur ses territoires et lors des séances du 8 (Journal officiel de la République française du 9 avril) et du 14 avril 1949 (JORF du 15 avril), l'Assemblée nationale invite le Gouvernement à affirmer et matérialiser les droits de souveraineté de la France sur les îles australes françaises et notamment l’archipel Kerguelen et à y envoyer, au printemps austral 1949, une mission économique, scientifique et militaire. Cette décision débouche sur la mise en place de la loi n° 49-1605 du 20 décembre 1949 relative à l’organisation et au fonctionnement d’une mission d’études aux archipels Kerguelen et Crozet et à l’arrêté du 26 août 1949, portant ouverture d’un établissement postal dans l’archipel des Kerguelen.  

Également, lors de la séance du 8 juillet 1949 (JORF du 9 juillet), il est demandé la création d'un établissement administratif permanent à l'Île Amsterdam qui aboutit à la loi n° 50-249 du 1er mars 1950 autorisant la création de cet établissement. Un arrêté du 9 octobre 1948 porte création d’un établissement postal aux îles Saint-Paul et Amsterdam mais n’a jamais été publié au Journal officiel de Madagascar. Un second arrêté du 22 mai 1950 déclare l’ouverture de l’établissement postal de Saint-Paul et Amsterdam au service de la télégraphie officielle et privée.  

Pour la terre Adélie, sur une proposition de Paul-Émile Victor, un double projet d'expéditions scientifiques polaires (arctique au Groenland et antarctique en terre Adélie) est accepté le 28 février 1947 par le Gouvernement français qui crée également les « Expéditions Polaires Françaises (Missions Paul-Émile Victor) ». 

La première expédition en terre Adélie, composée de onze membres, part vers la fin de 1948 sous la direction d'André-Frank Liotard. À la suite de conditions de glaces défavorables, l'expédition ne peut être déposée au cours de cette campagne. Ce n'est qu'au cours de la campagne suivante 1949-1950 que l'expédition peut être débarquée sur le continent. Le 21 janvier 1950, exactement 110 ans jour pour jour après la découverte par Dumont d'Urville, le pavillon français est hissé à terre. 

La première base française en terre Adélie est construite sur un piton rocheux au fond d’une baie et est baptisée Port Martin. Par un arrêté du 24 novembre 1948, un bureau de poste est créé en terre Adélie.  À cette époque, les bases construites sur les îles Amsterdam, Kerguelen et en terre Adélie relèvent du gouvernement général de Madagascar et les courriers que les hivernants peuvent adresser sont revêtus de timbres malgaches.  

La loi n° 55-1052 du 6 août 1955 conférant l’autonomie administrative et financière aux Terres australes et antarctiques françaises est publiée au Journal officiel de la République française du 9 août 1955. Ainsi, l'île Saint-Paul, l'île Amsterdam, l'archipel Crozet, l'archipel Kerguelen et la terre Adélie forment un territoire d'outre-mer possédant l'autonomie administrative et financière. L’autonomie postale est alors conférée à ce nouveau territoire qui peut émettre ses propres timbres. Le premier timbre est émis le 17 octobre 1955 à l’agence des timbres-poste d’outre-mer et devient disponible dans les différents districts aux dates suivantes : le 2 novembre 1955 à Kerguelen, le 13 novembre 1955 à Amsterdam et le 1er janvier 1956 en terre Adélie.  

Les courriers des hivernants partent à bord des rares navires qui desservent ces territoires et jusqu'à la création du territoire, les tarifs postaux appliqués sont ceux en vigueur à Madagascar. 

Les sacs postaux arrivent à Tananarive pour les courriers d'Amsterdam et de Kerguelen et à Hobart pour ceux de terre Adélie. Ils continuent leur route soit par bateau, soit par avion pour les courriers dont l'expéditeur a acquitté la surtaxe aérienne.  

Le pli de Kerguelen du 7 avril 1950 pour l'Angleterre (1) est affranchi à 47 francs (25+15+4+2+1) avec la mention « Par avion ». Le tarif en vigueur du 1er septembre 1948 pour une lettre de moins de 20 grammes pour l'étranger est de 11 F auquel il convient d'ajouter la valeur de la surtaxe aérienne définie dans le tarif du 18 septembre 1949 qui prévoit 18 F par cinq grammes pour l'Europe. Ainsi, cette lettre de 10 g justifie la surtaxe aérienne de 36 F à laquelle il faut ajouter le prix de la lettre de 11 F soit un affranchissement total de 47 F. 

On notera que les différents tarifs selon la destination du courrier (intérieur, franco-colonial, étrangers) ainsi que ceux fixant les surtaxes aériennes font l'objet d'arrêtés différents qui proposent des dates d'applications différentes. Il convient alors d'avoir recours à plusieurs documents pour comprendre l'affranchissement complexe que certains courriers peuvent parfois proposer. Le pli par avion de Kerguelen du 4 mai 1951 (2) est affranchi à 52,50 francs. Il est intéressant car on peut distinguer au-dessus du timbre de poste aérienne à 50 F une inscription au crayon très certainement apposée par le gérant postal de 13 g et le dessus du nombre de 52,5 qui correspond au prix de l'affranchissement. En effet, cette lettre pour l'Union française relève du tarif du 27 mars 1949 qui nécessite une taxe de 7,50 F. La surtaxe aérienne relève du tarif du 18 septembre 1949 dont la valeur est de 15 F par 5 g. Ainsi, pour une lettre de 13 g, la surtaxe est de 45 F (3 x 15 F) auxquels il faut ajouter 7,50 F, ce qui justifie l'affranchissement de 52,50 F.  

Pour la période dite de Madagascar qui n'a duré que cinq à six années, l'étude des tarifs postaux nécessite d'avoir recours à quinze arrêtés : quatre pour les tarifs intérieurs, quatre pour les tarifs franco-coloniaux, deux pour l'étranger et cinq pour les différentes surtaxes aériennes.  Avec la création du territoire des Terres australes et antarctiques françaises, il faudra attendre le tarif du 27 juillet 1959 pour que l'exercice devienne plus simple car chaque arrêté propose alors des tarifs spécifiques à chaque destination avec ses propres surtaxes aériennes. 

Le pli de terre Adélie pour Genève du 30 janvier 1957 affranchi à 65 F (3) relève du tarif postal du 1er avril 1951 qui propose un tarif de 17 francs pour la lettre de moins de 20 grammes pour l'étranger. La surtaxe aérienne relève du tarif du 9 avril 1950 et vaut 24 F pour cinq grammes. Pour une lettre entre 5 et 10 g, la surtaxe est donc de 48 F. L'affranchissement de 65 F (17+48) est alors justifié. (4) et (5) Pli d'Amsterdam du 2 novembre 1967 pour la France et pli de terre Adélie du 25 décembre 1968 affranchis à 113 F.  

Tarif du 27 juillet 1959 : 

  • Lettre de moins de 20 g : 25 F
  • Surtaxe aérienne : 22 F / 5 g soit 4 x 22 = 88 F pour une lettre entre 15 et 20 g
  • Affranchissement : 25 + 88 = 113 F  

(6) Pli recommandé de terre Adélie du 20 janvier 1965 pour la France affranchi à 237 F.  

Tarif du 27 juillet 1959 : 

  • Lettre de 20 à 50 g : 45 F Recommandation : 60 F
  • Surtaxe aérienne : 22 F / 5 g soit 6 x 22 = 132 F pour une lettre de 25 à 30 g
  • Affranchissement : 45 + 60 + 132 = 237 F 

(7) Pli recommandé de Kerguelen du 15 février 1974 pour la France affranchi à 189 F.  

Tarif du 1er juillet 1971 : Lettre de moins de 20 g : 35 F 

  • Recommandation : 100 F
  • Surtaxe aérienne : 18 F / 5 g soit 3 x 18 = 54 F pour une lettre entre 10 et 15 g
  • Affranchissement : 35 + 100 + 54 = 189 F  

(8) Pli recommandé d'Amsterdam du 20 janvier 1975 pour la Réunion affranchi à 550 F.  

Tarif du 1er juillet 1971 : 

  • Lettre de 50 à 100 g : 90 F
  • Recommandation : 100 F
  • Surtaxe aérienne : 18 / 5 g soit 20 x 18 = 360 F pour une lettre de 95 à 100 g
  • Affranchissement : 90 + 100 + 360 = 550 F 

(9) Pli recommandé d'Amsterdam du 18 avril 1978 pour la France affranchi à 10 F.  

Tarif du 1er janvier 1976. 

  • Lettre de 20 à 50 g : 2 F
  • Recommandation : 4 F Surtaxe aérienne : 0,40 F / 5 g soit 10 x 0,40 = 4 F pour une lettre de 35 à 40 g
  • Affranchissement : 2 + 4 + 4 = 10 F 

Les plis des Terres australes et antarctiques françaises sont souvent qualifiés de complaisance par ses détracteurs. 

Il est vrai que les gérants postaux reçoivent une correspondance abondante de nombreux philatélistes dont la production s'éloigne fortement de l'histoire postale. Parmi les reproches les plus souvent cités, il y a le sur-affranchissement qui produit des enveloppes très largement au-dessus des tarifs en vigueur. 

Le territoire des TAAF a toujours émis des timbres, pour la plupart gravés, qui ont toujours attiré les philatélistes tant leur attrait culturel reste indéniable. 

La situation géographique des divers districts et la difficulté à les atteindre uniquement par voie maritime concourent également à leur intérêt pour les collectionneurs. Si l’on ajoute à cela le nombre restreint d’hivernants, on comprend aisément que les divers courriers en provenance de ces terres lointaines sont d’une réelle rareté. 

Les personnes présentes sur ces bases n’ignorent pas cet aspect et pour satisfaire leurs correspondants ont tendance à sur-affranchir leurs plis.  En proposant les quelques plis qui illustrent cet article, nous avons réussi à démontrer que certains courriers, même richement affranchis de nombreux timbres pouvaient être en parfaite adéquation avec les tarifs en vigueur y compris en respectant la surtaxe aérienne. Ils démontrent qu'il est toujours possible de découvrir de très beaux plis affranchis de très beaux timbres qui s'intègrent parfaitement dans l'histoire postale de ce territoire. 

Il suffit de maîtriser les nombreux arrêtés tarifaires de ce territoire. Et pour cela, on peut consulter le livre de l'auteur de cet article : « Les tarifs postaux des Terres australes et antarctiques françaises 1948-2024 » (10).  Le territoire des TAAF a, jusqu'en décembre 2024, maintenu les surtaxes aériennes dans ses tarifs. Il doit très certainement être l'un des derniers à le faire car la plupart des pays, depuis longtemps, ne proposent que deux ou trois tarifs entre l'intérieur et l'étranger sans se soucier du mode de transport emprunté et en n'imposant plus de surtaxe aérienne. Le nouveau tarif du 1er janvier 2025 des TAAF a supprimé cette surtaxe et clos ainsi ce type de collection.  

Gilles Troispoux 

Président du Cercle d'études postales polaires