Le 10 février 2025, la Poste a émis un timbre à l’effigie de Pierre Dac à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa disparition. Humoriste et comédien français, il a été également pendant la Deuxième Guerre Mondiale une figure de la résistance contre l’occupation de la France par l’Allemagne nazie grâce à ses interventions sur Radio Londres.
André Isaac dit Pierre Dac, né le 15 août 1893 à Châlons-sur-Marne (aujourd’hui Châlons-en-Champagne) (1), est le créateur dans les années 1930 du journal humoristique « L’Os à Moelle » et l’inventeur du Schmilblick « un objet rigoureusement intégral, qui ne se sert absolument à rien et peut donc servir à tout ».
Il popularise l’expression « loufoque » et diffuse la célébrissime confiture de nouilles. Pierre Dac est né dans une modeste famille juive d’Alsace, originaire de Niederbronn-les Bains (2), et installée après la défaite de 1870 à Châlons-sur-Marne. Son père, Salomon Isaac, est boucher cacher et sa mère, Berthe Khan, est femme au foyer. André est né au 70 rue de la Marne (3).
Il a trois ans quand la famille s’installe à Paris où le père ouvre une boucherie dans le quartier de la Villette. Bon élève, André est doué pour les farces et affiche des dons artistiques. Ses parents l’inscrivent à des cours de violon. Cependant,
il est renvoyé de son lycée pour avoir accroché au dos de son professeur de maths un hareng saur. Ce renvoi signe la fin de ses études.
Avant la Deuxième Guerre Mondiale
Lorsqu’éclate la Première Guerre Mondiale, André Pierre-Dac est mobilisé au lendemain de ses vingt ans au régiment d’infanterie de Toul (4). Après quatre ans de guerre, il revient du front avec deux blessures qui lui retirent la possibilité de devenir violoniste puisqu’un éclat d’obus avait raccourci son bras gauche de douze centimètres. Lorsqu’il apprend la mort de son frère aîné Marcel à la bataille de Champagne le 8 octobre 1915 à l’âge de 28 ans, fauché par un obus allemand, il décide de repartir au front où il se retrouve nettoyeur de tranchées.
A Verdun, un obus lui brise la cuisse et il entame une convalescence jusqu’à l’Armistice. Il a été décoré et cité quatre fois à l’Ordre de la Nation. Après la Première Guerre Mondiale, André vit de petits métiers à Paris (coursier, chauffeur de taxi, homme-sandwich).
Dans les années 1920, il est chansonnier dans divers cabarets comme La Muse Rouge ou la Vache enragée. C’est à ce moment-là que le chansonnier Roger Toziny lui trouve le pseudonyme de « Dac », en référence avec la terminaison de son nom Isaac. André Isaac devient Pierre Dac.
Le 8 janvier 1929, il épouse Marie-Thérèse Lopez, mariage qui se révèle vite une erreur. Il rencontre en 1934 la comédienne Dinah Gervyl (1909-1987), de son vrai nom Raymonde Faure (5), qui devient sa seconde épouse. René Sarvil (1901-1975, de son vrai nom René Crescenzo) (6) lui écrit de nombreux texte qu’il récite volontaire d’une voix monocorde. En 1935, il crée une émission humoristique à la radio qu’il intitule « La Course au Trésor » et anime une autre émission « La Société des Loufoques » qui remporte un vif succès. Le 13 mai 1938, il fonde « L’Os à Moelle » (7), organe officiel des Loufoques (le mot « loufoque » vient de l’argot des bouchers, en référence à son père, le louchébem signifiant fou), une publication humoristique hebdomadaire. Elle a, en particulier, pour collaborateur Pierre Rocca ainsi que les dessinateurs Jean Effel (1908-1982, de son vrai nom François Lejeune d’où F. L.) et Roland Moisan (1907-1987).
Les petites annonces sont rédigées par Francis Blanche (1921-1974), auteur, acteur, chanteur et humoriste (8), dont voici quelques exemples : « Vend de la pâte à noircir les tunnels, des portes-monnaie étanches pour l’argent liquide, des trous pour planter des arbres »,etc.
Le 7 juin 1940, en raison de l’avancée allemande, l’hebdomadaire franchement anti-hitlérien cesse de paraître après 109 numéros. L’équipe du journal est contrainte de quitter Paris. Le journal reparaîtra épisodiquement en 1945-1946 puis vers 1965 avec de nouveaux talents comme René Goscinny (1926-1977) (Les aventures du facteur Rhésus) et Jean Yanne (1933-2003) (Les romanciers savent plus causer français en écrivant).
Pendant la Deuxième Guerre Mondiale
Réfugié en 1940 au 42 boulevard de Strasbourg à Toulouse (9) avec Fernand Lefèbvre (1905-1946), futur pilote de la France libre, Pierre Dac décide de gagner Londres en novembre 1941. Il est arrêté dans sa traversée des Pyrénées et incarcéré le 16 novembre 1941 à la prison Model de Barcelone. Il est ensuite remis aux autorités françaises de la zone libre et transféré au centre pénitentiaire de Perpignan le 6 mars 1942 où il ne reste qu’un mois après un jugement très bienveillant. Au printemps 1943, Pierre Dac tente à nouveau sa chance sous une fausse identité canadienne. A nouveau arrêté, il est incarcéré à la prison de Valencia de Alcantara puis de Caceres.
Il finit, sous la houlette de la Croix Rouge française, par être échangé contre des sacs de blé et des fûts d’essence puis rejoind Alger et Londres par avion le 12 octobre 1943. A Londres, il rejoint l’équipe « Les Français parlent aux Français » de Radio Londres. Pierre Dac intervient pour la première fois à Radio Londres le 30 octobre 1943 (10).
A l’antenne, il parodie des chansons à la mode pour critiquer le gouvernement de Vichy, les collaborationnistes et le régime nazi. Il est, en particulier, la voix du refrain célèbre de Jean Oberlé (1900-1961) « Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand » sur l’air de la Cucaracha qui devient le générique de l’émission.
Fait unique, Pierre Dac est nommé, en tant que civil, membre d’honneur du Groupe Lorraine alors que ce groupe n’est composé que de militaires des forces françaises aériennes stationnées au Royaume-Uni. Lorsque le 10 mai 1944 Philippe Henriot (1889-1944) sur Radio-Paris s’en prend à Pierre Dac sous prétexte qu’il est juif, en mettant en doute son intérêt pour la France, Pierre Dac lui répond le lendemain sur Radio-Londres que son frère Marcel est mort au cours de la Première Guerre Mondiale et que sa tombe porte la mention « Mort pour la France » alors qu’on écrira sur la tombe de Philippe Henriot « Mort pour Hitler, fusillé par les français ». Une réponse prémonitoire puisque Philippe Henriot est abattu par la résistance quarante-huit jours plus tard.
Après la Deuxième Guerre Mondiale
A la Libération, Pierre Dac rentre à Paris (11) où il se réinstalle avec sa femme Dinah Gervyl au 49 rue Junot. Il devient membre d’épuration des artistes. Il se produit, le 22 mars 1946, au palais de Chaillot à la fois comme artiste et comme évadé à la « Nuit des Evadés de France ».
Ce gala de bienfaisance est organisé par l’Union des évadés de France sous la présidence du général de Lattre de Tassigny. Pierre Dac prend officiellement le nom d’André Pierre-Dac à partir de 1950. En 1948, il revient au cabaret et surtout au théâtre des Trois Baudets dans le spectacle « Ça va – Ça va pas ». Ce spectacle fait place à la revue « 39,5° » entièrement écrite par Pierre Dac, sur une musique d’André Popp (1924-2014) qui se joue à guichet fermé pendant 440 représentations. A l’équipe de Pierre Dac s’ajoute un jeune humoriste, Robert Lamoureux (1920-2011) dont les spectacles provoquent l’enthousiasme du public. Lors de la 400ème représentation, Francis Blanche rencontre Pierre Dac. C’est le coup de foudre amical et professionnel.
C’est le début de leur collaboration sur scène et à la radio. Dac et Blanche forment un duo mythique (12) auquel on doit de nombreux sketches dont le fameux « Le Sâr Rabindranath Duval », produit en 1957 et « Malheur aux barbus » diffusé sur Paris-Inter en 213 épisodes de 1951 à 1952, publié en librairie et repris sur Europe 1 de 1956 à 1960.
Surnommé le « Roi des Loufoques », pour son aptitude à créer l’absurde à partir du réel, orateur pince-sans-rire il manie aussi bien les calembours que les aphorismes. Dépressif, il tente à quatre reprises de se suicider aux barbituriques ou en s’ouvrant les veines entre 1958 et 1960. Sa femme explique que depuis son retour en France à la Libération, son mari souffre de ne pas retrouver toutes les amitiés sur lesquelles il comptait et qu’il a connu sur ce plan que des déceptions à l’exception de son ami Francis Blanche.
Le 11 février 1965, Pierre Dac se déclare candidat à l’élection présidentielle avec le MOU (Mouvement Ondulatoire Unifié). Le tout-Paris applaudit le canular. Il désigne Jacques Martin (1933-2007) Premier ministre, Jean Yanne et René Goscinny deux de ses ministres. Il fait paraître régulièrement dans l’Os à Moelle des discours grandiloquents du MOU avec le slogan « Les temps sont durs, votez MOU ! ». Sa popularité inquiète les autres candidats à l’Elysée.
Un conseiller du général De Gaulle (1890-1970) l’appelle pour lui demander de se retirer. Par respect à celui qui a été le chef de la France libre, Pierre Dac accepte sans attendre. Fumant depuis l’âge de 18 ans, Pierre Dac meurt le 9 février 1975 à Paris dans le 19ème arrondissement d’un cancer du poumon.
Il décède comme il a vécu en homme modeste, dans la plus grande discrétion, à 82 ans. Il aurait dit « La mort est un manque de savoir-vivre ». Il a été incinéré et ses cendres ont été déposées au columbarium du cimetière du Père-Lachaise.
D’un point de vue philatélique
Les timbres à l’effigie de Pierre Dac ne sont malheureusement pas nombreux. Sans doute parce qu’il a été un humoriste franco-français, inconnu à l’étranger. On trouve quelques cartes-postales intéressantes (13), une flamme de 1993 (14)-(15) sur une carte postale humoristique émise à l’occasion du centenaire de sa naissance et le premier timbre de 2024-2025 (16)-(17).
Alain Berrebi
Amicale Philatélique France-Israël de Toulouse (APFI-T)
Pour en savoir plus :
- Pierre Dac. Un français libre à Londres en guerre. Eds Libretto. 2020. 256 pages
- Pierre Dac. Les petites annonces de l’Os à Moelle. Eds Cherche Midi. 2013. 504 pages